mercredi 15 octobre 2014

Racisme animal : pour l’amour des Pitbulls

Peu de choses peuvent m’enflammer comme l’injustice et la cruauté. En voyant la multiplication récente de débats sur internet et de mauvaise presse autour du sujet des chiens de race Pitbull, je me sens interpellée d’écrire cet article, surtout qu’il manque cruellement de ressources francophone sur le sujet. Je me fais un devoir de rester loin des cas spécifiques ou de mon expérience personnelle et de miser le plus possible sur les faits. Cet article est solidement documenté pour apporter le plus d’information de qualité possible et sera, j’espère, un pas dans la bonne direction pour changer la perception du public envers ces animaux.

Comme le dit la dame dans la vidéo présentée par le HuffPost Live sur le sujet des Pitbulls, « il n’y a rien de plus dangereux sur cette terre qu’un être humain ignorant » (1).




Un peu d’histoire

Il est d’abord important de préciser que le Pitbull n’est pas une race en soit. Il s’agit en fait d’une dénomination générale qui regroupe un ensemble de races aux caractéristiques physiques similaires dont l’American Pit Bull Terrier, le Bull Terrier, l’American Staffordshire Terrier, et le Staffordshire Bull Terrier.

Ces races auraient pour origine l’Angleterre du début du 19e siècle et furent créées pour les sports de spectacle populaires du combat de taureaux et d’ours. Quand ces sports furent déclarés inhumains et devinrent illégaux en 1835, le sport de combat de chiens est monté en popularité.

Les différents croisements réalisés, en plus de favoriser les caractéristiques physiques comme la vitesse et l’agilité du Terrier et la force et l’athlétisme du Bull Dog, ont aussi inscrit dans la race certains traits de caractère désirable comme le courage, la ténacité et le « gameness » (c’est-à-dire leur capacité à engager une activité qui les stimule physiquement et mentalement avec une détermination qui les pousse à abandonner difficilement).

Une autre caractéristique importante de leur patrimoine génétique est leur répugnance à mordre les humains. En effet, un entraineur qui doit aller dans le ring pour séparer deux chiens n’a aucun intérêt à se faire faire blesser lui- même. Les Pitbulls ont donc rapidement acquis la réputation d’être forts et protecteurs mais aussi gentils et amicaux (2). Ce sont des chiens faciles à dresser et obéissants qui ont un profond désir de plaire. En effet, l’ASPCA déclare dans son texte de prise de position sur les Pitbulls que ceux-ci ne démontrent pas à la base plus d’agressivité envers les humains que les autres chiens (3).   Quant à lui, le United Kennel Club (une institution depuis 1898) note que les Pitbulls ont toujours été remarqués pour leur amour des enfants mais ne sont pas le meilleur choix de chiens de garde car ils sont excessivement amicaux, même avec les étranger. » (4)




Dans les années 1900, ils sont devenus les chéris du peuple américains et ont fait leur place dans les foyers. Ils ont même été reconnus comme étant de parfaits « chiens nounous » (nanny dogs) et on confiait les enfants à leur garde quand les parents allaient travailler aux champs. Durant la première guerre mondiale, les États-Unis ce sont eux-mêmes personnifiés comme étant le Pitbull sur les affiches de propagande de l’armée, valorisant le caractère impartial et vigilent du pays. Plusieurs de ces chiens sont d’ailleurs devenus héros de guerre, se méritant tous les honneurs. D’autres sont devenus célèbres comme chien de service, de thérapie ou de recherche et sauvetage.




Malheureusement, le sport de combat de chien connait un regain de popularité dans les années 90. Comme il s’agit généralement d’une activité illégale, le Pitbull fut rapidement associé à un type de personnalité et au monde des gangs de rue ou des activités criminelles. Cette esthétique est reprise par les médias qui multiplient la mauvaise presse au sujet de ces animaux. Pour de mauvaises raisons, cette race de chien est devenue le plus récent symbole de délinquance et d’intimidation.


Phénomène médiatique

L’être humain a toujours eu besoin de fantasmer sur des monstres. Par exemple, au 19e siècle, les « bloodhounds » (ou chiens limiers) étaient considérés comme étant fondamentalement vicieux, ayant développé un gout pour le sang humain. Éventuellement, ces chiens se sont faits remplacer dans la croyance populaire par d’autres chiens comme le Berger Allemand, le Doberman et le Rottweiler.

Pour cause d’ignorance, le Pitbull est maintenant dans la mire des médias. La réalité est qu’à cause de la variété des races impliquées, la plus part des gens ne savent pas vraiment à quoi ressemble un Pitbull. Lors d’une attaque réalisée par un gros chien, la police et les médias se fient à la déclaration des témoins oculaires pour établir un rapport.  Le grand public va souvent automatiquement attribuer ces attaque à un chien de race Pitbull, ce qui peut grandement altérer les statistiques. Même les vétérinaires et les autres professionnels de soins animaliers ont souvent de la difficulté à bien identifier ce qui caractérise un Pitbull.

Selon les plus récentes statistiques des cas morsures fatales aux états unis, publiées en Décembre dernier par le Journal of the American Veterinarian Medical Association (5), la race des chiens impliqués n’a pu être déterminée avec certitude que dans 45 incidents. De ceux-ci, plusieurs races croisées n’ayant rien à voir avec le Pitbull et plus de 20 autres races distinctes étaient responsables pour ces attaques (6).

« Pitbull » est tout simplement devenu un « buzzword » pour assurer le sensationnalisme d’un reportage et les incidents impliquant ces chiens sont beaucoup plus largement diffusés, distillant la peur dans les communautés. Pour répondre à la demande de la population alarmée, les municipalités n’ont d’autre choix que d’établir des lois et règlements pour essayer de rassurer ses citoyens. Lorsqu’ils ne sont pas carrément bannis comme c’est le cas en Ontario, les articles de loi se veulent vagues, pour englober une majorité de chiens aux allures menaçantes. On s’assure ainsi la mainmise sur les interventions envers les animaux de compagnie, parfois même au prix de pénaliser les gens avec un chien de service quand les lois n’incluent pas les exceptions nécessaires.

Ici, à Gatineau, l’article de réglementation municipale va comme suit :

La Ville a identifié certaines races canines potentiellement dangereuses : Pit-bull, y compris les Staffordshire bull-terrier, American Staffordshire bull-terrier et toutes les races croisées qui possèdent des caractéristiques physiques d'une de ces races. (7)

La conséquence de cette mauvaise presse est désastreuse pour la survie de ces animaux. Selon les plus récentes statistiques, L’ASPCA (American Society for the Prevention of Cruelty to Animals) estime que, aux États-Unis uniquement, plus de 1,2 millions de chiens sont euthanasiés chaque année. De ce nombre, on évalue la quantité de Pitbull et croisements à plus de 800 000. C’est plus de 2000 Pitbulls tués par jour.

Il est presque inhumain de penser que nous les avons-nous même créés, utilisés, négligés et maintenant exterminés, le tout sans jamais reconnaitre la moindre faute de notre part.


Mythes tenaces

•  Les pitbulls sont vicieux de nature

Tous comme les humains, les chiens sont des individus avec leur personnalité propre. La génétique suggère que certains traits de caractères généraux peuvent se transmettre de génération en génération mais on sait très bien que le conditionnement et l’entrainement ne sont pas des caractéristiques transmises génétiquement chez les mammifères. S’attendre à ce que la progéniture d’un chien de combat soit naturellement agressive, serait la même chose que de s’attendre qu’un enfant nous cuisine un bon gâteau car ses parents sont chefs pâtissiers.

Comme de fait, Les Pitbulls réussissent brillamment à l’« American Temperament Test » (86% de réussite pour la 6e race la plus testée), et obtiennent souvent de meilleurs résultats que d’autres races de chiens pourtant reconnus comme étant de bons chiens de famille (le chihuahua ayant une des cotes les plus basses!). (8)

Certaines personnes sont offensées quand on compare la diabolisation des Pitbulls avec la discrimination envers les minorités ethniques, mais certains aspects de l’analogie sont trop flagrants pour être ignorés. La responsabilité des attaques sérieuses dirigées contre les humains est disproportionnellement attribuée aux Pitbulls, tout comme les afro-américains sont jugés coupables d’un nombre disproportionné de crimes aux États-Unis. La plus part des gens seront d’accord pour dire qu’il s’agit d’un jugement raciste d’affirmer que les afro-américains sont intrinsèquement plus criminels que les blancs, sans considérer le contexte social, économique et légal de ces crimes et en les attribuant a un défaut génétique ou culturel imaginaire. (4)


•  Les pitbulls ont une mâchoire qui barre (locking jaw)

Les pitbulls ont la même mâchoire que tous les autres chiens. Ils n’ont pas non plus une force de morsure surnaturelle. Plusieurs études démontrent que la puissance d’une morsure est directement reliée au poids du corps d’un chien et une étude conduite par le National Geographic a déterminé que l’American Pitbull Terrier a en réalité une force de morsure inférieure au Berger Allemand et au Rottweiler.


Que de mauvais maitres

Comme expliqué ci-haut, L’agressivité, la gêne extrême et l’instabilité ne sont pas des traits typiques de la race Pitbull. Malheureusement, ils sont devenus des chiens de choix pour les gens désirant un chien aux allures menaçantes dans leur cours. Ces gens, qui souvent ne prennent pas bien soin de leurs animaux, refusent aussi de les faire castrer. En combinant un haut taux de testostérone avec de mauvaises conditions de vie et de la négligence, il n’est pas difficile d’imaginer comment ces animaux peuvent en venir à développer des problèmes comportementaux. Statistiquement, selon l’American Humane Society, près de 90% des attaques mortelles impliquent des mâles non-castrés.

Une responsabilisation est requise pour quiconque voulant posséder un chien. Les chiens très intelligents et sensibles comme le Pitbull vont s’efforcer de manifester le comportement que leur gardien veut les voir démontrer. Leur attitude est la réflexion de l’entrainement et de la socialisation (ou le manque de) que leur maître leur prodiguent. Tous les chiens sont potentiellement dangereux. Par contre, les chiens de grande race sont, en raison de leurs attributs physiques, plus à risque de causer beaucoup plus de dommages lors d'une agression. Toutes les races de chien qui ont de grandes gueules et une mâchoire forte peuvent représenter un danger, surtout auprès des enfants qui sont vulnérables. Il est donc essentiel pour les propriétaires de bien encadrer leur animal dès son jeune âge puis tout au long de sa vie pour qu’il se comporte bien avec les gens de tous âges ainsi que les autres chiens, spécialement en public.

Le « Centers for Disease Control and Prevention » estime que 90% des attaques mortelle de chiens sur des enfants de moins de deux ans surviennent alors que les enfants sont laissés sans supervisions. Un parent ne devrait jamais, quelle que soit la race, laisser un enfant tout seul avec un chien sans surveillance des adultes, spécialement si celui-ci est un animal non-familier. Il est aussi primordial d’enseigner aux enfants les comportements sécuritaires comme ne jamais tirer la queue ou les oreilles d’un chien ou le surprendre lorsque celui-ci mange ou dors.

Dans la plus part des municipalités, les maitres sont tenus de garder leurs chiens en laisse, même dans les parcs ou les chiens sont permis. Il en va de même sur tous les terrains non-clôturés et la rue, un règlement qui manque cruellement de renforcement. Les gens pensent que si leur chien n’est pas agressif, il ne peut pas poser de danger pour les autres. Ce que les gens oublient souvent, c’est qu’un comportement excité, qu’on peut percevoir comme joueur et amical en tant qu’humain, peut être perçu comme de l’agression ou de la dominance pour un autre chien au tempérament plus nerveux. Même si celui-ci est attaché, la faute d’une agression est normalement attribuée au chien qui a mordu. Tenir son chien en laisse est aussi une mesure pour sa propre sécurité.


Kassi et bébé Élix se rencontrent pour la première fois


Les autres animaux aussi

Le « speciesism » est le principe discriminatoire selon lequel la vie et les expériences des animaux sont considérés comme moins importants que ceux des êtres humains. Nous choisissons comme bons nous semble de citer certaines caractéristiques ou circonstances pour justifier nos actes envers eux comme par exemple leur manque de rationalité, de langage ou de connexion sociale. Pourtant, le principal argument pour lequel nous nous refrénons de blesser d’autres humains, est la conscience de la souffrance l’autre. On sait maintenant que les animaux ont aussi une vie émotionnelle et ressentent la peine, le plaisir, la peur et la joie. De diminuer leur existence et leurs expériences simplement cars ils n’ont pas toutes les caractéristiques que les humains partagent est de la discrimination. La valeur des animaux ne dépend pas de de leur similarité à l’être humain, tout comme la valeur de la femme ne dépend pas de sa similarité à l’homme ou la valeur des gens de couleurs de leur similarité aux gens de race blanche.

Dans le cas d’une attaque d’un animal (sauvage ou domestique) sur les humains, notre première réaction est d’éliminer cet animal d’emblée, parfois même en ouvrant la chasse à toute son espèce. Quand on questionne ouvertement ce type de procédure et engageons la réflexion, on cite spontanément le risque que ces animaux, si on les laissait vivre, développent un gout pour le sang et attaquent de nouveaux. On rassure ainsi la population en laissant voir que la situation a bien été prise en main.

Est-ce qu’un animal peut réellement développer un tel gout? Peut-être dans le cas de certains carnivores comme de grands félins, qui ont été surpris à attaquer les hommes dans une période ou la nourriture se faisait rare et qui réalisent par la suite qu’il est plus facile de s’en prendre aux humains qu’a un buffle par exemple. Par contre, dans le cas d’un animal maintenu en captivité et bien nourri, tel que nos chiens de compagnie ou les animaux dans les zoos qui vont parfois attaquer leur gardiens, ces bêtes ne mangent pas leurs victimes et l’attaque n’est pas causée par un quelconque appétit. Ce genre de violence est habituellement attribuable à un stress psychologique causé par des conditions de vie négligentes et, une fois sorti de ce contexte, ces bêtes vont souvent démontrer un tout autre comportement.


La vengeance, une caractéristique humaine

Soyons réalistes. Ce qui motive avant tout les réactions extrêmes comme en subissent les pitbulls et les autres animaux qui attaquent les hommes, c’est le désir de vengeance.

Le désir de vengeance est une caractéristique bien humaine, ancré dans sa génétique comme trait inné de survie propre aux espèces socialement complexes. Pour bien le comprendre, il faut considérer le principe de base des relations sociales qu’est la réciprocité, un principe présent même chez nos ancêtres primates. Un comportement qui sabote la coopération, tellement nécessaire à la survie, doit être puni (9). On pourrait aussi le présenter sous l’angle de l’autoprotection : celui qui nous blesse doit être corrigé pour éviter qu’il ne nous blesse à nouveau dans le futur. C’est la base même de notre système de justice qui peut être vu comme la transformation réussie d’un désir de vengeance, euphemisé en punition, ce qui permet de garder l’urgence dans des limites acceptables car la vengeance est paradoxalement aussi dommageable aux relations sociales.

On oublie que les animaux ont leur propre instinct, leur propre comportement, qui diffère de celui des humains et il est injuste de les juger selon les même critères. On veut contrôler les animaux comme des biens matériels, les voir se comporter exactement comme on le voudrait et selon notre morale. On est convaincus de notre supériorité comme espèce (croyance souvent bien ancrée dans les enseignements religieux) et on croit donc légitimement pouvoir punir ou pénaliser ces animaux malgré le fait que l’être humain est presque toujours responsable de la cause de ces attaques. Il s’agit d’une fierté mal placée et si on veut vivre harmonieusement avec les chiens, je crois sincèrement qu’il faut apprendre à les respecter dans leur différence et apprendre à communiquer avec eux dans leur langage. Les spécialistes de comportement canin s’entendent pour dire qu’il est dommageable d’humaniser les chiens.

An eye for an eye and a tooth for a tooth and the whole world would soon be blind and toothless.” ~Mahatma Gandhi


Le mot de la fin

Bien sûr, il faut prendre des mesures pour se protéger des chiens qui mordent. Malheureusement, les règlements sur les races spécifiques engouffrent des fortunes sans donner de résultats. En effet, comme l’explique un excellent article paru dans La Presse en 2012 « la catégorisation du pitbull comme race «dangereuse» ne repose sur aucune étude sérieuse et indépendante. En 2008, le gouvernement néerlandais a abrogé l'interdiction des pitbulls, en vigueur depuis 15 ans, en raison de l'absence d'amélioration de la sécurité publique. En 2007, le Royaume-Uni a déclaré le Dangerous Dog Act caduc après avoir constaté que le nombre de morsures avait augmenté de 10% depuis sa mise en place. Ainsi, après Vancouver et Halifax en 2005, les Pays-Bas en 2008, l'Italie en 2007, plus de 50 villes américaines, dont New York, ont elles aussi levé leur interdiction visant les pitbulls. » (10) La ville de Sherbrooke a aussi levé son ban en 2013 après plus de 16 ans d’interdiction.

Le secret, c’est de miser sur la bonne éducation des gens et de leurs compagnons à quatre pattes et ce, peu importe leur race ou leur format. La vague d’effort de sensibilisation des dernières années semble tranquillement porter fruit et donne le jour à de nombreux organismes de « rescue » comme Bullies in Need en Ontario (ou la race Pitbull est complètement bannie dans toute la province) ou Not a Bully aux États-Unis.




N’hésitez pas à encourager ces organismes, à promouvoir une meilleure réputation à ces chien ou à en adopter un vous-même (la SPCA en déborde)! Vous et votre famille n’en récolterez que plus d’amour :)




Références


  1. HuffPost Live - Everything You Know About Pit Bulls Is Wrong
  2. Dog Time
  3. ASPCA Position Statement on Pit Bulls
  4. AlterNet - Pitbulls Used to Be Considered the Perfect "Nanny Dogs" for Children
  5. Journal of the American Veterinary Medical Association
  6. HuffPost - 10 Stereotypes About Pit Bulls
  7. Ville de Gatineau
  8. American Temperament Test Society
  9. Reflections on the Desire for Revenge (offline)
  10. La Presse
  11. How to Care for Your Pit Bull
  12. Cesar’s Special Makes the Case for Pit Bulls
  13. How Did Pit Bulls Get Such a Bad Rap?
  14. The truth about Pit bulls
  15. Radio-Canada - Dangerosité du Pitbull
  16. Black Dog Syndrome
  17. What is speciesism
  18. Beyond the myth
  19. National geographic wild : ceasar Millan – love my pitbull
  20. ASPCA Pet Statistics
  21. Wikipedia Pitbull
  22. Wikipedia Speciesism
  23. Emotional Competency – Revenge
  24. Bullies in need
  25. Not a Bully