lundi 23 avril 2012

Le tatouage à domicile, économique pour qui?

À en croire les nombreuses publicités sur Internet, le tatouage à domicile ne présenterait que des avantages : se faire tatouer dans le confort de son salon, pour un faible prix. Ces nouveaux "prestataires" n'hésitent pas à inonder les réseaux sociaux de petites annonces : "Petits prix garantis", "moins cher et plus confortable qu'en studio", "faites-vous tatouer dans le cadre rassurant de votre cuisine", "déplacement offert"... Les prétextes ne manquent pas. (1)

Pourtant, c'est par ignorance des risques et de la loi et en imaginant pourtant faire le choix d'une solution alternative au tatouage en salon (a priori plus confortable et rassurante) que le client naïf se fait avoir.


VALEURS DOUTEUSES

Si certains artistes choisissent en outre de pratiquer le tatouage à domicile avant de démarrer une activité en studio, beaucoup demeurent dans cette situation dans le seul but d'échapper aux charges professionnelles inhérentes à la mise en conformité de leur activité.

La seule raison valable pour un tatoueur de se donner le mal de se déplacer chez ses clients, c'est pour faire de l'argent facile sur les gens naïfs ou (excusez-moi) cheaps qui ne veulent pas investir dans une qualité de travail qui leur reste à vie.

J'ai souvent été invitée à participer aux dits "partys de tattoo" comme artiste sous promesse de faire beaucoup d'argent, mais je trouve l'idée tellement repoussante que j'ai toujours refusé de bouger de mon studio. Pour moi, c'est un non catégorique même si je me fais souvent demander par les gens que je rencontre ou sur Internet si je tatoue à domicile. J'aime mieux perdre des clients que de renoncer à mes valeurs professionnelles.

Je ne connais AUCUN, et je dis bien AUCUN tatoueur qui, à mes yeux de tatoueuse, est professionnel et talentueux (même si une autre personne peut trouver que son beau-frère est ben bon), qui accepte de faire du tatouage à domicile. Quelques rares artistes respectables ont des studios professionnels installés chez eux mais ceux-ci se conforment aux mêmes normes de santé et sécurité que les tatoueurs ayant pignon sur rue.

La réalité est qu’un tatoueur à domicile fait plus d'argent que celui en studio. Ça vous coûte moins cher à VOUS car 100 % de l'argent va dans ses poches. L'artiste en studio doit remettre en moyenne 50 % de ce qu'il a fait pour payer les frais de location et d'administration (tout comme les coiffeuses) et donc fait moins d'argent. Si un tatoueur insiste pour rester travailler dans son studio, dites vous que ce n’est pas pour vous faire payer plus cher mais bien parce qu'il a une solide morale professionnelle!

Saviez-vous que la grande majorité des fournisseurs de matériel de tatouage de qualité professionnelle d'Amérique refusent de vendre aux tatoueurs qui ne sont pas engagés par des studios professionnels? Certains demandent même à voir le portfolio de l'artiste et le numéro d’enregistrement. Pourquoi prennent-ils la peine de sélectionner leurs clients et ainsi perdre de l'argent? Encore une fois, parce qu'ils on une conscience professionnelle. Dites vous que ceux qui vous tatouent chez vous ont acheté leur matériel sur eBay ou de seconde main de quelqu'un qui voulait faire un peu d’argent en vendant son vieux stock.

Les kits eBay sont généralement fabriqués en Chine et sont de mauvaise qualité, fournis avec des produits et des encres qui ne respectent pas les normes de Santé Canada.

J’en profite ici pour démystifier un point important. Au Québec, aucune loi ne régit directement le perçage ou le tatouage. Que ce soit pour les adultes ou pour les enfants, ça ne change rien à l’affaire. En l’absence de juridiction spécifique, certains professionnels du tatouage et du perçage semblent vouloir se donner bonne conscience en évoquant la Loi sur le consentement aux soins de santé qui stipule qu’un jeune de plus de 14 ans peut consentir seul à des soins de santé. Certains autres, encore plus sévères, refusent d’intervenir sur tout individu de moins de 18 ans. Mais, ce qu’il faut savoir c’est que cette Loi exclut les soins esthétiques ou dits « non médicalement requis ». Donc, rien ne permet ou n’interdit aux artistes corporels de tatouer un mineur, qu’il ait 14 ans ou pas. (2) C’est pourquoi beaucoup de jeunes mineurs se tournent vers un service à domicile pour la réalisation de leur premier tatouage, avec des résultats souvent bien regrettés par la suite. 




DÉSAVANTAGES DU DÉPLACEMENT

Par souci d’hygiène et de salubrité, il est important de souligner que la propreté va beaucoup plus loin que l'utilisation d'aiguilles neuves et d'une chaise « propre ». Le simple transport d'équipement stérile ou d’encres dans un contenant inapproprié ou exposé aux changements de température peut compromettre la stérilité, même s'il est emballé. Selon l’Association pour le Développement de l’Internet en Pharmacie (ADIPH) voici les règles à suivre :


STOCKAGE DU MATERIEL STERILE

Tiré du recueil de procédures « DEMARCHE QUALITE EN STERILISATION »
Groupe de travail HEPHAISTOS


  • Rayonnage facile d'entretien, permettant de limiter les dépôts de poussière.
  • Température stable entre 15° et 25°.
  • Pas de lumière directe.
  • Humidité de 40 à 75 %.
  • Éviter les écrasements et les chocs.
  • Armoires fermées.
  • Pas de contact avec les liquides.
  • Ranger si possible dans l’emballage de protection d’origine (boîte en carton).
  • Ne pas endommager le matériel ou l’emballage :
  1. ne pas lier les emballages entre eux avec un adhésif, un élastique, un trombone ou une agrafe,
  2. ne pas écrire sur l’emballage,
  3. ne pas plier l’emballage,
  4. ne pas perforer l’emballage,
  5. ne pas trop remplir les tiroirs de stockage


  • Veiller à une bonne rotation du stock (premier entré, premier sorti). (3)


À mes yeux, le confort de travail et la proximité des équipements en studio est un argument suffisant. Transporter MA table, MA surface de travail en verre ou en stainless, TOUTES les barrières de surfaces et les produits nettoyants, et tout le reste de mon matériel, c'est comme déménager. Mis à part assister à une convention de plusieurs jours, il est inenvisageable de se soumettre a ces heures de démontage et remontage de station de travail pour aller travailler un peu partout.

De plus, du point de vue du client, j'ai toujours trouvé que de se rendre au studio et passer par les étapes de production d'un design sur mesure avec l'artiste que j'ai moi-même choisi, dans son milieu, fait partie intégrante du plaisir de l'expérience de tatouage.


AUTRES RÉFLEXIONS SANITAIRES

Une infection est loin d'être la pire chose qui peut arriver à une personne en se faisant tatouer. Une infection, dans les trois premiers jours de guérison, peut s’attraper virtuellement n’importe où si on ne fait pas attention à sa plaie et que l’on n’y accorde pas les soins fondamentaux. Les maladies transmises par le sang n'ont pas de symptômes apparents à court terme et la question n'est pas de savoir si quelqu'un a effectivement attrapé ou non une de ces maladies dans le cadre d’un tatouage mais de contrôler autant que possible, jusque dans les moindres détails, la propagation de ces maladies. Entre un tatouage qui a 0,01 % de chance de transmettre l'hépatite et un qui a 0.0001 % de chance, lequel choisir?

L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) est un problème de santé publique important au Canada. À l’heure actuelle, bien qu’on ignore le nombre précis de cas d’infection par le VHC, on estime qu’environ  240 000 canadiens sont porteurs de ce virus et, de ce nombre, seulement 30 % savent qu’ils sont infectés. Si la majorité (60 % à 80 %) de ces personnes n’avait aucun symptôme après l’infection, entre 75 % et 85 % seront atteints d’une infection chronique. Parmi ceux-ci, entre 10 % et 20 % développeront une cirrhose après une longue période de latence qui pourrait durer jusqu’à trois décennies. (4)

Cela fait des années que je m'actualise en suivant des formations et en m'instruisant sur les pathogènes, la contamination croisée, les premier soins...Je vous mets au défi de demander à votre tatoueur de salon de vous montrer une de ces certifications. N’importe quel professionnel de la santé pourrait vous affirmer en un instant que le tatouage à domicile est une très mauvaise idée.

Malgré le fait qu’aucune mesure de contrôle n’existe au Québec, en France le tatouage à domicile est illégal et toutes les activités du domaine sont contrôlées par le Syndicat National des Artistes Tatoueurs.  La loi européenne impose à tout tatoueur ou perceur de disposer d'une salle technique dédiée aux actes de tatouage et de piercing, répondant à des normes d'aménagement précises, et à l'exclusion de toute autre fonction.


RESPONSABILITÉ CLIENT

Cela dit, ce n’est pas le studio mais bien un tatoueur qui réalise le tatouage. Des mauvais tatoueurs, il y en a dans les studios aussi. C'est la RESPONSABILITÉ DU CLIENT de magasiner pour son artiste, de regarder les portfolios, de poser des questions sur les procédures.

Dire que se faire tatouer à domicile est une meilleure alternative parce qu'on à été déçu dans un studio est un sophisme et n’est aucunement un argument valable.

Un tatoueur n'est pas une esthéticienne : n’importe lequel ne fait pas n’importe quoi. Dans le cadre d’un dit « party de tattoo », comment peut-on être certain que le travail de l’artiste conviendra à chaque invité? C'est une aberration. De plus, si on a été déçu par le travail d’un artiste maison et qu’on doit finalement faire refaire le travail, on n’est pas gagnant, ni au niveau monétaire ni au niveau du résultat.

Certains gens passent des mois à étudier différents modèles et à visiter plusieurs magasins avant l’achat d’un appareil électronique (qui durera au mieux quelques années d’utilisation) convenant à leur besoin et à leur budget mais vont entrer dans n’importe quel « tattoo shop » et faire confiance au premier venu pour le meilleur prix possible (pour un produit qui leur restera toute la vie). Cela dépasse tout simplement ma compréhension.

En bref, ce n’est pas le client qui économise son argent mais bien les tatoueurs à domicile qui économisent leurs efforts pour faire le plus grand profit possible à votre dépend. C’est un pensez-y bien.


(1) www.s-n-a-t.org
(2) http://legitimedepense.telequebec.tv/occurrence.aspx?id=17
(3) http://adiph.org/procedure-sterilisation.pdf
(4) http://www.phac-aspc.gc.ca/hepc/pubs/youthpt-jeunessept/index-fra.php

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Commentaire et réponse
Rick on March 6, 2016 at 7:51 pm said:

La plupart des tattooshop se situe dans les centre-villes, et qu’est-ce qu’il y a dans les centre-ville ? POLLUTION, PUTES, JUNKIES. La majorité des contaminants sont dans l’air, même si vous stérilisée en profondeur, au sitôt que vous ouvrez la porte votre local est infesté. Vous généralisé un peu trop, ce n’est pas tout le monde qui ont des maison sale. Je crois qu’il est préférable de tatoué chez une personne qui tient sa maison propre en banlieu, campagne ou l’air est ‘clean’ que dans un tattooshop de centre-ville avec plein de microbe dans l’air. Vous n’aviez pas pensez à cela ?

Ruby on March 6, 2016 at 8:48 pm said:

Cher Rick,

Selon moi votre commentaire témoigne d’une grande ignorance et d’un manque grave d’information sur le sujet de la contamination, ce qui en soit est assez dérangeant. La majorité des pathogènes (on n’a jamais parlé de contaminants) se transmettent par contact et non dans l’air, et si par l’air à proximité du porteur (ex : toux). La proximité de la ville et des putes (!?!) n’y changent rien. Le tatouage en soit n’est PAS une procédure stérile. L’équipement à la seconde hors des emballages, n’est également plus stérile. Par contre, il n’est pas contaminé. Vous mélangez stérilité et décontamination. C’est 2 choses complètement différentes. J’espère sincèrement que vous n’êtes pas tatoueur vous-même.

Je suis bien désolée que vous vous sentiez choqué par mon article. Pour ma part et en parfaite hypocrisie, je travaille aussi maintenant dans mon studio maison, (en banlieue, à proximité de mes voisins junkies) et je maintiens pourtant les informations partagées dans mon article bien documenté, appuyé par mon expérience et ma formation en matière de prévention de la contamination et de la transmission des pathogènes. Par ailleurs, à part au Québec, il est illégal dans la majorité des pays de pratiquer le tatouage à domicile (surement avec raison).

Je souligne je l’article décrie surtout les tatoueurs qui se déplacent chez les gens et je cite que « Quelques rares artistes respectables ont des studios professionnels installés chez eux mais ceux-ci se conforment aux mêmes normes de santé et sécurité que les tatoueurs ayant pignon sur rue. » Bien à vous.

Karine P. LeBlanc